Le 11 novembre dernier n'a pas marqué simplement l'énième célébration de la façon dont nos ancêtres du siècle dernier manifestaient un trop plein de testostérone, mais aussi le début d'une «polémique» dont seuls peut-être nos contemporains compatriotes peuvent encore se gorger.
La très sérieuse «Commission bioéthique de l'observatoire socio-politique» du diocèse de Fréjus-Toulon s'est ainsi fendue d'un communiqué dans laquelle était dénoncée la «stratégie eugéniste» du Téléthon, en particulier concernant la pratique du diagnotic pré-implantatoire (DPI). Pour Pierre-Olivier Arduin, responsable de la commission: «On a vu le résultat de cette stratégie lors de la présentation des bébéthons, nouveau-nés qui sont sains parce que, n'ayant jamais été malades, ils ne sont que les survivants d'avortements programmés in vitro ou in utero». La conclusion est simple: «Il n'est plus possible de financer le Téléthon». Catholiques de tous les pays, vous êtes désormais priés de réserver votre générosité à une «médecine éthique». Le contrepartie logique serait : catholiques de tous les pays, vous serez aussi privés à lavenir de toutes les retombées de la «médecine non éthique», si vous voulez vivre en accord avec votre conscience…
Au passage, on peut réfléchir un moment à ce qu'il serait advenu si le communiqué provenait de quelque autorité musulmane: nos très-bons-médias n'auraient-ils pas épaissi encore la sauce de «l'affaire Redeker» sur d'ineffables considérations - haro sur l'obscurantisme, chocs des civilisations, ténèbres, lumières, …Car bien sûr, et dans la logique redekerienne, certaines manifestations d'obscurantismes sont désormais plus légitimes que d'autres aux yeux de l'intelligentsia post-rationaliste.
Tout cela serait bien sûr risible si notre triste pays n'avait trouvé là prétexte à de vastes échauffourées salivaires et scripturales.
L'AFM (Association Française contre les Myopathies) est montée au créneau dans les colonnes de Libération. Les hautes autorités de l'Eglise hexagonale ont répondu, en la personne de l'archevêque de Paris, André Vingt-Trois (qui possède apparemment toutes ses paires de chromosomes): « On crie au scandale parce que des gens posent des questions. C'est au moins naturel et normal que les gens qui financent la recherche puissent dire quelque chose sur la recherche qu'ils financent.» Ben tiens. S'i lon commence à financer les recherches scientifiques selon les convictions religieuses de chacun, on pourra bientôt ouvrir une chaire de créationnisme au Muséum d'histoire naturelle...
Le débat s'est alors déplacé sur le droit de regard citoyen de nos bons chrétiens qui ne font rien de mal en se demandant comment leurs pieux deniers sont réutilisés. Avec comme horizon implicite la fabrication en sous-sol et en éprouvettes de la bête immonde? Sûrement pas ! Remets cet euro dans ta poche Pierre-Marie et raccroche ce téléphone!
L'éternelle allusion à l'eugénisme est un moyen utile de refourguer en contrebande l'assimilation grotesque de la recherche actuelle et des délires du IIIe Reich. Nous avons déjà souligné la stérilité argumentative de ce genre de procédé, et ne manquerons pas de le souligner encore, malgré sa probable persistance dans le débat. Vox Clamans in deserto dirait le saint patron des décapités…
Les médias se sont donc emballés, et pas des moindres. Dans un célèbre quotidien du soir, la vigie de la bio-éthique à la dérive Jean-Yves Nau remarque ainsi, en tirant le parallèle avec le précédent de l'extension du DPI au dépistage des prédispositions aux cancers: «Le DPI ne peut pas ne pas inquiéter, émouvoir, passionner». Car le saviez-vous: «De telles pratiques avaient déjà été mises en œuvre aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, sans que rien ne permette d'évaluer au sein des familles touchées les impacts psychologiques et relationnels de cette forme sans précédent de médicalisation». Propos appuyé par l'avis de notre éminent collège bio éthique interdisciplinaire de spécialistes et d'experts (CCNE, France n'aie pas peur ! nous veillons...), selon lequel il faut «tenir compte de la célèbre maxime kantienne selon laquelle tout être humain doit être considéré comme une fin en soi, jamais comme un moyen» et qu'on ne peut donc «faire l'économie de la compassion et de la solidarité que l'on peut exprimer vis-à-vis des familles concernées et informées de cette perspective thérapeutique.» Ces kilotonnes de compassion et d'interrogation sur la santé psychologique d'un enfant né de DPI ou de ses parents ont à peu près autant de sens, vous en conviendrez, que mes propres interrogations sur le trouble induit chez mon chat par par les pertes de ses poils. Mais comme le dossier du refus du DPI est parfaitement vide en dehors des croyances obscurantistes, il faut bien noircir le papier pour faire illusion.
Voici peu, Le Monde s'est dailleurs fait écho de cette question en publiant un article relatant le témoignage d'un couple, les Bec, porteurs tous deux d'un gène prédisposant à la naissance d'enfants atteints par la forme infantile de la maladie de surcharge en acide sialique libre (et non pas cialique, comme l'écrit la journaliste Anne Chemin, apparemment plus au fait de l'apitoiement lacrymal que de la nosographie médicale). Cette découverte a été consécutive à la naissance et au décès à deux mois de leur petite fille atteinte par la maladie: «Je me doutais quelle ne vivrait pas longtemps, raconte sa mère, Carole Bec. J'ai tenté de lui donner en quelques mois tout ce que je lui aurais donné s i elle avait vécu des dizaines dannées. Après, j'ai essayé de tenir le coup, mais le désespoir est là, il ne vous quitte pas.» Le couple s'est alors tourné vers le DPN (diagnostic prénatal) : huit FIV, trois fausses couches et un avortement à trois mois et demi. Ultime tentative de ces acharnés de la reproduction avec le DPI en 2004. Pour trois tentatives, une implantation qui échoue, une fausse couche et la naissance de «Louis-Philippe, un petit garçon qui a aujourdhui un peu plus dun mois. Ces dernières années, nous avons passé presque toutes nos vacances à l'hôpital, mais nous ne le regrettons pas» On le voit, l'argument des impacts psychologiques et relationnels est très parlant: la solution catholique, cela aurait été de faire n aître des quasi-morts-nés en rafale pour améliorer le bien-être et l'équilibre des familles...
Au début de la semaine, Jacques Chirac lui-même, notre père à tous, a finalement tenu à apporter son soutien à l'AFM, voulant peut-être rassurer les libres esprits pouvant craindre que l'autorité suprême de notre Etat séparé de l'Eglise ne soit contaminée par les grenouilleries de sa sphère conjugale.
A l'heure du lancement du Téléthon, monstre médiatique qui est à la recherche sur les maladies génétiques ce que la Star Academy est aux ventes de disques de Michel Polnareff, on se demande si le temps viendra où notre gai savoir sera enfin libéré de cette boue moralisatrice. D'ici là, il est à craindre le troupeau chantera longtemps et bruyamment son droit imprescriptible à naître idiot, infirme, laid, malade - son droit à fabriquer l'objet même de sa compassion, à savoir l'insigne faiblesse de l'animal humain.